jeudi 15 avril 2010

Journée pro "BD" à Aix en Provence

Lundi dernier, je me suis rendu en Aix en Provence assister à une journée professionnelle dédiée à "La création dans le Roman graphique". Déjà, j'avoue avoir été dubitatif devant cet intitulé, et particulièrement avec le terme de "roman graphique", sorte de fourre-tout qui ne veut pas dire grand chose... Terme qui connote en sus un besoin de la bande dessinée à se retrouver dans le sillage de la littérature romanesque lorsqu'elle cherche à gagner quelques titres de noblesse.
Le terme de roman graphique à été inventé aux Etats Unis (Graphic Novel) où, il faut bien avouer, l'image de la bande dessinée est longtemps resté celle des comics de super héros, un peu simpliste et plutôt destiné aux ados, voire aux enfants.
Remit dans ce contexte on comprend pourquoi des artistes comme Will Eisner, on voulu donner un nom plus prestigieux à une bande dessinée plus "adulte" qui commençait à émerger dans le pays. Personnellement, je reste persuadé de la maladresse de l'appellation, au travers de laquelle la bande dessinée ne semble pouvoir échapper à l'ombre du roman. Comme si elle ne pouvait avoir une existence propre et ainsi affirmer son identité. La bande dessinée à longtemps -et continue- à souffrir de gros préjugés, et ça n'est pas en se posant comme une éternelle sous-littérature qu'elle parviendra à échapper au joug de sa propre image.
Bref, avec un tel terme en énoncé, je ne pouvais que m'interroger sur le fond de la prestation des intervenants, qui étaient au nombre de 4:
Joseph Ghosn, responsable des chroniques BD des Inrockuptibles jusqu'en 2008 et qui a récemment sortit un bouquin intitulé: Romans graphiques : 101 propositions de lectures des années soixante à deux mille.
Ludovic Debeurme, auteur de Lucille, Le grand autre, Le lac aux velies
Joanna Hellgren, auteure de Frances, et de Mon frère nocturne
Laurent Lolmède
, dernièrement auteur de carnets tel que Lolmède (!) en 2009
le tout animé par
Pouria Amirshahi, un représentant de la Cité internationale de la bande dessinée d'Angoulème.
Des intervenants alléchants donc, qui devraient être logiquement assez non-consensuels dans leur propos, et qui expliqueraient au public pourquoi le terme de roman graphique est quelque chose d'un peu suranné, voire de complètement à côté de la plaque. Et pourtant... Que nenni !
Evidemment j'en attendais pas tant de Joseph Ghosn, qui ne peux qu'aimer le terme, l'ayant utilisé comme titre de son dernier livre. Il a même précisé qu'il le préfére à celui de Bande dessinée... Pourquoi pas, mais sans argumentation celà ne m'a guère convaincu. Enfin si, il a argumenté: le format physique des romans graphiques se rapproche de celui des romans: enfin de la BD qui ressemble à du livre! Et qu'on peut ranger sans rougir dans notre bibliothèque, à côté de Maupassant, Sartes et Boris Vian! Quelle merveilleuse argumentation, j'adore...
Seul Ludovic Debeurme a souligné qu'il n'appréciait pas particulièrement le terme, pour les raisons énoncées plus haut, mais il a précisé qu'il lui trouvait un intérêt: Il y voit, lui, une démonstration de l'idée qu'un artiste doit s'intéresser à d'autres arts que celui qu'il pratique s'il ne veux pas se scléroser. En citant le roman, on comprend donc que la bande dessinée s'influence d'autres médiums, ce qui ne peux que la rendre plus riche, diversifiée et intéressante. Soit. Mais son raisonnement se heurte à une évidence de taille: le terme de Roman graphique ne fait référence qu'au roman. Exit la poésie, le théatre, la peinture, la musique, le cinéma...
Après avoir fait un peu le tour du pot, les compères semblent désireux d'enchainer sur le sujet même: la création.
Voilà alors que chacun se met à raconter l'état d'esprit dans lequel ils travaillent, leurs influences, leurs oeuvres, etc. Des propos assez intéressant pour qui s'intéresse aux travaux de ces auteurs, mais qui devait être assez barbant pour qui ne les connaissaient pas, ou peu. Néanmoins quelque chose m'a encore gêné, après coup, le côté très centré sur soi-même et l'auto-félicitation qui deviendra une des récurrences de cette journée.
Le plus embêtant dans tout ça, c'est que l'image que nous renvoyait les intervenants sur le milieu de la BD était totalement complaisant et même erroné.
Si on en croit leur discours, aujourd'hui en BD tout est merveilleux, certains éditeurs sont géniaux et la position de l'auteur est aujourd'hui si bien respectée qu'il se retrouve en totale liberté créatrice, que tout est possible, c'est formidable !
Bien évidemment, ils parlaient là essentiellement du milieu "indé", effectivement bien plus libre et décomplexé que l'ensemble du marché BD. Seulement, ils ne l'ont JAMAIS précisés. Et quand cette nuance était suggérée, c'était pour parler de certains éditeurs indépendants bien précis (L'association en tête, suivit de Cornélius, et puis -un comble- Futuropolis nouvelle mouture -qui appartient à Gallimard et aux éditions Soleil ! Quelle indépendance!-), et lorsque Ludovic Debeurme a (à peine) évoqué un phénomène de récupération du "genre indé" de la part des gros éditeurs...
Un peu agacé de toute cette complaisance, et de cet acharnement à parler de romans graphiques pour parler de bandes dessinées ayant un format différent que le traditionnel 48 pages Cartonnées Couleurs, un homme dans le public intervint. Même si son intervention ne m'a pas paru d'une grande pertinence, il a eu le mérite de faire un peu sortir les intervenants de leur torpeur auto-complaisante, et les as positionné en porte à faux, face à leurs contradictions. Que répondre lorsqu'on vient de s'acharner à valoriser la liberté d'expression actuelle a quelqu'un qui vous cite quelques de démarches datant des années 70 (Bazooka en tête), signe évident que la dites liberté ne date pas d'aujourd'hui.
Je suis moi-même tombé tout récemment sur un bouquin de Jacques Zimmer datant du début des années 70 (aucune date d'édition n'est précisé, mais d'après les documents cités à l'intérieur, je pense qu'il a été publié en 1971 ou 1972), intitulé La bande dessinée (tout bêtement), et sortit chez les Cahiers de l'audio-visuel. Le livre débute avec ces lignes:
"La bande dessinée n'a plus besoin de défenseur: le temps n'est plus où toute préface se devait d'être nostalgique, agressive ou lyrique. [...] La B.D. est unanimement reconnue comme langage et chacun sait, depuis Esope que la langue charrie le pire et le meilleur: comme le cinéma, la télévision, la presse, le livre de poche, la bande dessinée est un phénomène de surconsommation."
Amusant (ou désespérant?) de voir qu'on a aujourd'hui toujours le même discours. Déjà dans les années 70, on avait donc l'impression que le médium, malgré les dérives de la production de masse, avait atteint une certaine forme de reconnaissance artistique... Mais puisqu'on n'a pas évolué dans le discours depuis près de 40 ans (aujourd'hui, disons-le tout haut, la BD est artistiquement reconnue et atteint des sommets de liberté créatrice), c'est bien qu'il y a un problème... Un réel soucis de recontextualisation de la part des artistes eux-même. Considérer ce qui à déjà été fait serait une preuve d'humilité (alors que là les intervenants se bornaient à expliquer au monsieur que Bazooka, ben c'est une revue mon gars, ça n'a rien a voir), et aussi de prendre du recul sur le contexte actuel (loin d'être si rose, et pour les indés loin d'être limité au travail de 3 maisons d'éditions...) leur permettrait certainement de ne pas me foutre en rogne (ce dont ils ont certainement rien à foutre).
Rajoutons que Lolmède semblait être là pour faire sa pub: il a été le seul à brandir bien haut son dernier livre, et ce quatre fois. Il l'appelle "mon cube", à cause de son nombre de page important je suppose. Ce qui soit dit en passant m'a bien fait rire, car pour ne réaliser que des carnets de vie il faut être un peu exhibitionniste quelque part. Alors qu'il s'empresse comme celà de nous montrer son cul(be) a de si nombreuses reprises, j'ai trouvé ça assez pertinent finalement.

Je tiens à préciser que je ne pense pas que c'était réellement une volonté, même inconsciente, de la part des intervenants. Ils étaient là pour parler de la BD indé, et du roman graphique, ils se sont plié à la demande des organisateurs, et se sont souvent retrouvé face à leurs contradictions sans réellement réussir à s'expliquer très clairement. Je pense que ce résultat (assez désolant) est dut au fait qu'il n'ont pas osé aller à l'encontre du principe même de ce débat. Ne pas vexer les organisateurs, ne pas vexer Gohsn, comme ça on peut tous rester copaing.
C'est beau l'a fraternité dans le milieu de la BD!

Je rajoute, enfin, que les interventions de Ludovic Debeurme étaient généralement intéressantes (même si le monsieur parle beaucoup, il sait bien articuler sa pensée à l'oral et parler en public, ce qui n'est pas mon cas, voilà pourquoi je ne suis pas intervenu), et que Joanna Hellgren était beaucoup moins locace que les autres, et qu'elle n'entre pas dans les critiques faites ci-dessus, car elle n'a parlé que d'elle et de son travail, elle ne s'est pas aventurée a faire un historique ni a philosopher sur des concepts, et n'a pas donné son avis sur les interventions des autres.